Histoire de la construction de l’église Saint-Roch

 

par Michel Collomb

 

 

Pourquoi une nouvelle église Saint-Roch ?

 

Insuffisance de l’église Saint-Paul : En 1850, il existe déjà une église Saint-Roch : l’église Saint-Paul, située un peu plus haut, en bordure de la rue des Sœurs Noires et datant du 17ème siècle, a été rebaptisée église Saint-Roch à la suite du Concordat de 1802, lors de la recomposition des paroisses de Montpellier. Mais cette église, de plan carré, composée d’une triple nef à deux travées, était trop petite pour le nombre d’habitants.

 

L’essor du culte de Saint-Roch : il existait bien des chapelles Saint-Roch dans plusieurs églises de la ville (cathédrale, église des Dominicains, église Saint-Paul), mais aucun véritable monument à la gloire de l’enfant du pays pouvant porter une dévotion alors en plein développement. Considéré avec Notre-Dame des Tables comme le saint patron de la ville, saint Roch est invoqué chaque fois qu’une épidémie la menace. Il est réputé avoir protégé la ville lors des épidémies de choléra du printemps1832 et surtout de l’été 1854. Dès sa création, les curés de la paroisse s’efforcent de faire naître autour de saint Roch une dévotion à la fois populaire et étroitement liée à l’identité de la ville et de la région « Paroissiens de Saint-Roch, citoyens de Montpellier, peuples des alentours, ranimez votre dévotion pour un saint qui, respecté, célébré au loin par des Nations entières, devraient l’être encore plus par ses compatriotes, dans l’enceinte des murs qui le virent naître et mourir. [ commenter : comment expliquer qu’il n’y ait pas de monument dédié à saint Roch si l’on pense qu’il est mort à Montpellier ?] » (1ère Vie de saint Roch publiée à Montpellier-1809). L’abbé Vinas, curé de Saint-Roch, obtient la translation de plusieurs reliques du saint conservées à Arles en mai 1838 et, dès qu’il lui succède en 1843, l’abbé Recluz multiplie les démarches auprès de la ville pour qu’elle rachète l’église et entreprenne la construction d’un édifice monumental à la gloire du saint montpelliérain. Pour y parvenir, le grand historien du Languedoc, à la Faculté des Lettres de Montpellier, le professeur Alexandre Germain lance, dès 1849, l’idée d’une large souscription populaire au nom de saint Roch « Il n’a pas encore obtenu dans cette ville les honneurs d’un monument convenable. […] il n’a même pas une chapelle digne de lui dans la cathédrale de Montpellier […] Pourquoi la ville entière ne contribuerait-elle pas à élever un temple monumental à ce bienfaisant ami de Dieu ? »  

 

Les plans de modernisation urbaine de la municipalité : de 1852 à 1869, elle est dirigée par Jules Palézy, un industriel protestant, propriétaire d’un domaine agricole à Jacou. Inspiré par les travaux d’Hausmann à Paris, il a décidé de refondre l’Écusson en l’aérant et l’adaptant aux nécessités du commerce moderne. Profitant de la prospérité de l’époque (début du Second Empire), il veut donner une nouvelle respiration à la ville encore enserrée dans ses ruelles moyen-âgeuses. Il décide la percée de la Rue Impériale (actuelle rue Foch) pour relier le Peyrou à la place de la Comédie et propose habilement d’en profiter pour créer trois nouveaux lieux de culte : l’église Sainte-Anne, le temple protestant sur la rue Maguelone et la nouvelle église Saint-Roch. Celle-ci doit devenir un sanctuaire monumental pouvant accueillir jusqu’à 3000 personnes. Il recouvrira l’espace de l’ancienne église Saint Paul et de son presbytère ainsi que plusieurs habitations existantes qui seront rasées et ira jusqu’au Plan d’Agde qui sera élargi pour former une esplanade surplombée par le parvis du nouvel édifice.

 

La recherche d’une large adhésion populaire : Le projet s’accorde bien avec la politique urbanistique de la Ville et est de nature à lui assurer le soutien de la population catholique. Il est finalement adopté par le Conseil Municipal, le 19 septembre 1854. Pourtant la pose de la première pierre n’aura lieu que le 16 août 1860.

 

Un financement sous contraintes :

 

La Loterie Saint Roch : reprenant l’idée du professeur Germain, l’abbé Recluz, curé de Saint-Roch, obtient de l’évêché l’autorisation d’émettre une loterie pour un montant de 1.200.000 frs, chaque billet étant vendu 1 fr (soit approx. 2,27 euros). Elle doit donner lieu à trois tirages pour des lots allant de 100 frs à 25.000 frs. Cette loterie a été autorisée par l’Empereur qui a confié sa gestion à un Aveyronnais, M. Amédée Vernhette, ancien préfet et ex-député de l’Hérault. Le 1er tirage a lieu le 16 août 1855. Le dernier tirage était annoncé « inexorablement » pour le 16 août 1856.

 

De son côté, la Ville se rend propriétaire du foncier nécessaire pour le projet. Elle a déjà acquis l’ancienne église Saint-Paul qui était encore la propriété de ses anciens acquéreurs lors des ventes de biens nationaux sous la Révolution. Aucun accord n’ayant été trouvé sur le prix, il lui faut  recourir, le 2 décembre 1858 à un décret d’utilité publique pour procéder à une première expropriation. Cette procédure se renouvellera pour les autres acquisitions d’immeubles.

 

Peut-être parce que sa durée d’un an était trop courte, la loterie fut loin d’atteindre le résultat espéré de 600.000 frs : seulement 347.000 frs.

 

En 1857, l’architecte de la Ville, Jean Cassan, livre ses premiers plans à la municipalité :

le coût de la construction de l’église est évalué à 450.000 frs. Mais c’était sans compter sur l’augmentation des salaires des ouvriers et du prix des matériaux, qui la fit passer à 471.000 frs dès 1861. Par ailleurs, les compensations demandées par les propriétaires des 18 habitations à exproprier s’avèrent plus coûteuses que prévu (150.000 frs dans le budget initial) et les procédures retardent le début du chantier. L’abbé Recluz s’impatiente et propose même que la paroisse prenne à sa charge le rachat de certaines maisons du Plan d’Agde.

Indication des habitations à démolir pour réaliser la nouvelle église St Roch

 

L’emprise du plan de Jean Cassan par projection sur le cadastre,

lorsque nous parlons des expropriations imposées pour libérer l’espace

 

Il est probable qu’en d’autres circonstances, la municipalité  aurait été tentée de renoncer. Mais la loterie, apport de la communauté catholique, constituait pour Pagézy et son conseil municipal une sorte de pacte qui lui rendait impossible l’abandon du projet. On décida alors de ne construire que la 1ère partie de l’église, pour un montant de 235.000 frs, soit exactement la moitié du coût estimé en 1861. C’est dans ce contexte tendu qu’intervient la disparition de l’abbé Recluz, principal promoteur du projet, décédé le 17 novembre 1861, à l’âge de 59 ans.

 

Les choix architecturaux :

 

Sous le Second Empire, le style Néo-Gothique est quasiment incontournable pour les édifices religieux. Parmi les idées qui ont circulé pour la construction de l’église Saint-Roch, la  plus effarante envisageait la démolition pierre par pierre de l’abbatiale de Valmagne, qui était alors à moitié ruinée, et sa reconstitution au cœur de Montpellier. Le comte de Turenne, propriétaire du domaine de Valmagne ne s’y serait, paraît-il, pas opposé. En revanche de Service des Monuments Historiques vit rouge et le fit savoir jusqu’à l’antichambre de l’Empereur. On renonça promptement à ce projet fou!

 

L’architecte de la Ville, Jean Cassan (1823-1885), de son vrai nom Jean-Pierre Casao, était un adepte de l’éclectisme stylistique et il avait pris en charge la rénovation urbaine voulue par Pagézy en s’inspirant de ce que le baron Hausmann et l’architecte Baltard étaient en train de réussir à Paris. Pour les bâtiments religieux, il avait fait sienne la conception du style médiéval modernisé tel que Viollet-le-Duc l’avait théorisé. Il était par ailleurs très lié à l’architecte Jean-Baptiste Lassus qui venait de restaurer l’église gothique Notre-Dame-en-Vaux de Châlons-en-Champagne et d’achever l’église Notre-Dame de Belleville. Ces deux édifices ainsi que l’abbatiale de Valmagne serviront de modèles pour la nouvelle église Saint-Roch. 

 

Valmagne : Cassan en garde les proportions de la nef, en la réduisant : 59,80m de longueur au lieu de 77m ; 33m de largeur au lieu de 36m. Autres emprunts : l’élévation intérieure de la nef principale : 20m et la forme en tore aplati des piliers et des voussures.

 

Notre-Dame de L’Épine à Châlons-en-Champagne : Cassan en copie la façade avec ses trois portails et ses deux flèches, surmontée d’une galerie et d’une rosace centrale. Il reprend aussi le dessin d’un vaisseau triple (3 nefs) à 5 travées qui se prolongent par un transept de 2 travées auquel on peut accéder par un portail de chaque côté. Enfin un chœur composé d’un déambulatoire et de 5 chapelles rayonnantes.

Dessin par Jean Cassan des trois portails

inspirés par ceux de N-D de Châlons-en-Champagne

 

L’église Saint-Jean-Baptiste de Belleville, achevée en 1854 par Lassus, a inspiré le dessin très élégant des deux flèches qui devaient surplomber le parvis ainsi que la forme des trois portails.

Les deux flèches dessinées par Jean Cassan

sur le modèle de l’église St Jean Baptiste de Belleville

 

Dessin de la façade latérale par Jean Cassan,

montrant la nef, le transept,le chœur et l’abside

 

La construction :

 

La première pierre avait été posée en 1861, mais les deux premiers appels d’offres pour choisir l’entreprise de construction étaient restés sans résultat tant le budget paraissait insuffisant aux entreprises. Fallait-il renoncer? Une telle décision aurait été désastreuse aux yeux de la population. On préféra procéder à une douloureuse révision.

 

D’une part, on ne construirait que  la première partie de l’église, c’est à dire le parvis, la nef et les collatéraux, en s’arrêtant au transept. L’église deviendrait beaucoup plus courte et ne pourrait plus recouvrir les restes de l’ancienne église, du côté de la rue des Sœurs noires, où l’abside droite et le départ de l’abside centrale de l’ancienne église sont encore visibles en contrebas des restaurants.

 

Pour ne pas compromettre une reprise ultérieure du projet initial, on se contenterait d’un chœur peu profond et d’un seul niveau, quitte à briser l’élan de la nef centrale.

 

D’autre part, on renonçait aux les deux flèches voulues par Cassan, ainsi qu’aux sculptures des trois tympans du porche et à celles des gargouilles. 

 

Les travaux de terrassement, nécessaires pour compenser la déclivité du terrain, commencèrent en décembre 1861 par les soins de l’entreprise Galibert. La construction de la première partie de l’église  fut confiée à l’entreprise Henri Muratel, de Montpellier. Elle commença effectivement en avril 1862. Un cahier des charges très précis lui imposait d’utiliser des pierres de taille venant des carrières de la région. Pour les toitures, l’entrepreneur exigea des ardoises d’Angers, car rien d’équivalent n’existait à proximité.

 

Les renoncements ne suffirent pas à surmonter les difficultés financières. En 1863, les crédits sont à nouveau épuisés et le Conseil municipal accepte de voter une rallonge de 30.000 frs pour achever les voûtes et la toiture. Au bout de cinq ans de travaux, on décida de les arrêter définitivement afin de permettre la consécration de la nouvelle église, qui eut lieu le 13 août 1867, suivie, le 15 août, par « le transport solennel des reliques dans la chapelle qui leur est destinée ».

 

Conclusion :

 

On peut certes regretter l’inachèvement de cette église que l’abbé Recluz comme le Conseil municipal de Montpellier avaient voulue « monumentale » pour être à la hauteur de la réputation internationale de saint Roch.

 

Se réjouir plutôt que le « pacte » entre la Ville et la paroisse ait tenu.

 

D’autres dangers imminents (la guerre de 1870, l’avènement de la République, la crise du vignoble à cause du phylloxéra) auraient bien pu provoquer sa rupture.

 

Les grands travaux voulus par Jules Pagézy et son équipe ont ouvert la ville au monde moderne et l’ont préparée à affronter le XXe siècle, même s’ils se firent au prix d’un endettement important qui nécessita d’augmenter les contributions directes à quatre reprises sous son mandat.

 

Telle qu’elle est aujourd’hui, l’église Saint-Roch n’est-elle pas finalement plus à l’image du saint qu’elle honore, cet homme pressé de courir l’aventure du Christ, de mettre ses connaissances au service des malheureux, de servir à l’exemple de son compatriote, Urbain V, l’idéal d’une église réconciliée autour de l’essentiel : le message d’amour de Jésus.

 

Michel Collomb,

Régine Brunel,

août 2017

 

 

Tous les documents proviennent des Archives Départementales,

Pierres Vives, dossier 2O172/60